8 juillet 2017

Oui, la politique est un métier.

Le "dégagisme" est à la mode.
Contrainte, forcée ou souhaitée, cette tendance "à dégager" (volontairement ou non) illustre une nouvelle ère : celle du renouvellement produit à tout prix, constatée il y a quelques années déjà dans l'univers de l'entreprise. Exit les partis, les caciques et les professionnels de la politique, l'époque veut voir du neuf. Autrement dit, des nouveaux visages. Sarkozy et Juppé ont été sortis par l'air du temps. Cambadélis, NKM, Duflot ou Hamon ont été balayés par les urnes. Fillon et Bayrou ont été remerciés par les affaires. Quant à Raffarin, il a déclaré forfait, conscient qu'il fallait, à un moment donné, vivre aussi avec son temps. La primaire, la Présidentielle comme les Législatives ont été sans appel pour les professionnels de la politique. Les derniers qui restent sont prévenus pour les municipales de 2020. Leur destin est d'ores et déjà écrit.
Pour plaire au marché désormais (comprendre les médias puis l'électeur), il faut être jeune, venir de la société civile (avoir un métier est un plus) et surtout être inexpérimenté en politique (pas de passé partisan, surtout pas de fonctions électives), synonyme de vrai changement, de modernité et d'honnêteté. Paradoxe de notre époque, ce non professionnalisme devient aujourd'hui un gage de professionnalisme et de confiance. Un agriculteur élu : ça le fait. Une infirmière élue inspire confiance. Un jeune élu est symbole d'espoir. C'est le profil qui prime, plus la compétence. Puis l'histoire est belle. Une nouvelle fois, ça fait vendre.
À la surprise presque générale, ont émergés ces dernières semaines un président de la République de 39 ans, jamais élu auparavant ; un ministre d'État ancien présentateur TV ; un député mathématicien de profession ; une autre députée commerçante à la retraite devenue chroniqueuse radio ; enfin un dernier député, de 23 ans d'âge, qui fait de parlementaire son premier job. Dans une époque pas si lointaine, avant de fouler les marches de l'Assemblée ou celles plus hautes de l'Élysée, on passait cahin-caha par toutes les étapes de la vie politique. Aujourd'hui c'est fini. À l'ère "start-up" l'on passe de stagiaire à DG en 6 mois, les profils "atypiques" et les parcours éclairs (donc plus vendeurs) sont les bienvenus. C'est comme ca : c'est le diktat du neuf et du court terme.
Aujourd'hui, le changement présenté comme révolutionnaire passerait en premier lieu par un changement de casting, un peu comme dans les médias où la rentrée de septembre voit toujours venir de nouveaux présentateurs pour relancer ou donner un peu de fraîcheur à des émissions de TV ou de radio en perte de vitesse. La règle du jeu de la chaise musicale est connue car rodée. La forme est capitale en politique, dans l'univers des marques également. Le packaging change. Le produit reste le même. Or, depuis la Grèce Antique et la naissance de la politique, il y a une constance, valable aussi dans le monde de l'entreprise.
- Pour faire de la politique, il faut d'abord "être" politique. Autrement dit, savoir gérer le pouvoir, les hommes, les promesses et le principe de réalité. Attention aux élus affectifs, sincères, et loyaux, "être politique" est un vrai métier et à plein temps.
- Pour faire de la politique, il faut ensuite "connaître" la politique. Car à l'instar de l'agriculture ou des mathématiques, la politique est un univers à part avec ses codes et ses règles du jeu. Tous les sortants le savent. En politique, il faut savoir "parler" la politique. Tel le poker et l'univers du jeu, la politique a une langue, surtout un langage avec ses éléments, avec des temps de parole et de silence dans des moments clés. Chevènement l'avait même théorisé : " Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule". Attention aux élus grandes gueules, passées ou non chez RMC, toute vérité n'est pas bonne à dire. En politique, il convient de connaître la vérité d'un jour mais également les logiques d'appareil, les rapports de force, le jeu des contre- pouvoirs, les effets d'annonce ou l'art des alliances, pour ne pas être seulement in fine le mirage d'une séquence, l'archétype d'une époque ou pis, le pion d'une majorité ou d'un Président, passé maître du placement de produit. "Connaître" la politique" est donc un vrai métier et à plein temps.
- Pour faire de la politique, il faut ensuite "vivre" la politique. Autrement dit, vivre au rythme qu'impose la fonction d'élu qui vous fait passer, comme la téléréalité, de l'ombre à la lumière, vous et votre famille, vous et votre passé sous toutes ses formes. Contrairement aux autres métiers moins exposés, il n'y a pas de pause en politique, pas de temps morts, pas de off. En politique, il faut savoir gérer l'art de la représentation continue, le poids des mots et des formules, l'art du déplacement et du protocole. En politique, la bourde est au bout de la phrase. Le bad buzz à la phrase suivante. Surtout, en politique, tout est politique : un regard, un silence, une posture, un sourire, une poignée de main, un soufflement, un nœud de cravate. Tout est vu, analysé et relayé. C'est ainsi : c'est l'ère des commentateurs et autres experts qui suivent un autre rythme, celui effréné des chaînes d'infos. Contrairement à ce l'on pense, la politique, ce n'est pas comme dans la vraie vie. "Vivre" la politique" est un vrai métier et à plein temps.
Depuis la séquence Macron, le politique a changé, tout du moins son visage. Et c'est ce que les Français voulaient. Mais la façon de faire, c'est-à-dire le cadre institutionnel dans lequel il évolue, lui, est resté le même. A mon sens, ce n'est pas le présentateur qu'il faut changer, pas même l'émission qu'il convient de relifter le temps d'une saison mais bien le support carrément qu'il convient de repenser. Ce n'est pas une histoire d'homme, de femme, de jeune, de costume ou de cravate. C'est une histoire de système. Les vieux routards de la politique le savent. La politique est un métier, définitivement. Et si ça ne change pas vraiment sur le fond, ces vieux de la vieille seront en embuscade. Car en politique, on ne meurt jamais. C'est une histoire de nature aussi.
RIDEAU.

4 juillet 2017

MÉLENCHON OU L'OPPOSITION "SPECTACLE".

Il agresse beaucoup, agace souvent, amuse parfois, mais qu’on le veuille ou non, J.L Mélenchon assure LE « Spectacle » depuis sa séquence réussie de l'élection présidentielle. Résultat : un classement régulier dans le top 10 des "trending topics", une OPA sur les bandeaux d'"actu" de BFMTV et des audiences record lors de ses représentations, qu'elles prennent la forme de "tutos" Youtube, de "happenings" de rue ou de meetings en hologramme où les curieux se mélangent maintenant aux militants pour assister in vivo au « Mélenshow - saison 2 ». Depuis son départ éclair du Parti Socialiste en 2008, J.L Mélenchon, à l’appui d’une stratégie de communication bien ficelée, est devenue une marque arrivée à maturité : celle d’une offre politique à la fois « hors linéaire » mais cette fois crédible (versus 2012) de par son score élevé à l'élection présidentielle et sa victoire à la députation. J.L Mélenchon postule donc naturellement à la place de premier opposant. Il a pour l'heure celle, indiscutable, de L'OPPOSITION SPECTACLE. Voici pourquoi.

- D’abord, « l’homme » Mélenchon s’inscrit dans une conjoncture de crise-continue, et particulièrement aiguë, toujours propice à l’émergence de personnalités fortes, à la fois « grandes gueules » et « anti-establishment », donc volontiers « populistes ». Candidat miroir, J.L. Mélenchon a su très vite sentir l’air du mauvais temps pour s’approprier un territoire de marque spécifique, celui de la « révolte », de la « colère » ou encore de « l’indignation », lui permettant de se positionner clairement sur le marché comme LE candidat hier « anti système », aujourd'hui "insoumis". Dès lors, chez lui, tout est fait, en permanence, pour nourrir l’image de "l'opposant à" et incarner ainsi la promesse de son parti d'antan « faire front » sur lequel il a construit sa marque. D’abord, sa posture physique, de nouveau soigneusement agressive, laquelle est symboliquement bien illustrée par le « doigt pointé » redevenu depuis la présidentielle « son » signe distinctif. Ensuite, ses répliques chocs et imagées, lesquelles visent moins à « clouer le bec » de ses interlocuteurs que marquer les esprits pour être massivement reprises par les réseaux sociaux et les chaînes d'info en buzz-continu. Enfin, ses cibles privilégiées, en premier lieu desquelles le Président E. Macron, les députés de l'actuelle majorité et les journalistes de terrain qui ont remplacés les banquiers et les sondeurs qu'ils souhaitaient voir jadis « tous s’en aller ». JL. Mélenchon refait donc du Mélenchon (pré-campagne) et ré-occupe le même positionnement que, dans les années 90, B. Tapie et de J.M Le Pen, ces deux « jumeaux du populisme » qui ont assuré, en leur temps, le « spectacle politique » en défendant, à grands coups d'éclats médiatiques, ceux « qui ne sont rien » et qui attendent tout.

- Ensuite, Jean-Luc Mélenchon est ce qu’on appelle dans le milieu journalistique, un très bon client, homme d’image, de communication comprenant et maîtrisant comme personne les médias, leurs codes, leur univers et fonctionnement. Avec J.L. Mélenchon en effet, la petite phrase (celle qui va faire mouche le Jour J, être reprise par le fil Twitter des journalistes pour créer l’événement autour du personnage), si elle est souvent attendue, est toujours donnée avec une extrême générosité. Aussi, même si l’ancien socialiste s’amuse à taper en permanence sur les journalistes, ces derniers s’inscrivent paradoxalement avec lui dans une relation moins masochiste que « gagnant-gagnant ». Chez J.L Mélenchon, le succès tiendrait donc, selon moi, davantage à la forme soignée qu’au contenu même de son discours. Car au fond, c’est son style direct et sans concession qui intéresse et rend le personnage aussi attractif. Bousculant les codes, pourtant plus que jamais en vigueur, du politiquement correct, le leader des « Insoumis » met, lui, les pieds dans le plat. Aussi, à l'heure du renouvellement des têtes et du "Dégagisme" qu'il peut craindre à son tour, J.L. Mélenchon doit apparaître sur le marché comme neuf, vrai mais surtout authentique, autrement dit comme "les gens" qu'ils qualifient ainsi avec son parler vrai et son discours imagé sorti tout droit du café du commerce. Pour exister, J.L. Mélenchon a conscience qu'il doit gagner avant tout la bataille de la forme. Il sait qu'avec l'arrivée de Macron en effet, le clivage gauche-droite n'existe plus. Que le PS a explosé. Que les Républicains sont divisés. Et que 7 groupes désormais existent à l'Assemblée. Pour l'heure donc, l'opposition est une affaire de forme, et uniquement de forme.

- Enfin, J.L Mélenchon est un excellent orateur, un tribun fantasque et génial, sans aucun doute (depuis le retrait J.M. Le Pen ) le meilleur de l’actuelle scène politique. Sur les « planches » de la politique française, et aujourd'hui sur celles de l'Assemblée Nationale, J.L Mélenchon tient la rampe comme personne et porte à merveille le masque de l’acteur jouant son texte avec talent. En le vivant et en étant ainsi habité, J.L Mélenchon paraît sincère donc crédible. Comme disait D. Diderot : « les comédiens font impression sur le public, non quand ils sont furieux mais quand ils jouent bien la fureur ». Et J.L. Mélenchon joue bien la fureur. Il a compris que les Français ne s’intéressaient pas à la pièce, non parce que le texte n’était pas bon mais bien parce que le jeu de ses acteurs était franchement mauvais. Alors comme au théâtre, J.L Mélenchon s’attache à soigner la forme de toutes ses interventions en gardant une constance, celle du candidat écorché vif, énergique et volontiers agressif (avec ses interlocuteurs, "matheux" compris), autrement dit des traits contribuant à nourrir à la fois son positionnement mais surtout son charisme : la carte n°1 pour plaire dans "l'ère-Spectacle". Aussi, pour marquer les esprits et « accrocher » son auditoire, J.L Mélenchon peut compter à la fois sur sa posture physique de combat (le poing levé, le doigt pointé et le regard vif), de mâle dominant et son talent d’orateur. Depuis la Place de la République qu'il a trusté pour en faire QG, J.L. Mélenchon harangue puis réveille les foules en excellant dans l’art de la formule, du détournement mariant à la fois l’agressivité et l’humour générateur à la fois de désir (d’action) et de sympathie autour du personnage qui de fait devient digne d’intérêt. Lorsqu'il reste assis à l'Assemblée, lorsqu'il n'applaudit pas, J.L Mélenchon crée l'événement. Il crée même l'événement lorsqu'il est absent (comme au Congrès de Versailles), c'est dire comme il occupe grandement l'espace politico-médiatique, avec ou sans cravate.

En réalité, J.L Mélenchon est l'archétype de la "politique spectacle". Il fait l'écho à l’image de la société d’ultra communication dans laquelle nous vivons, « une société spectacle » où le signe fait sens et où la forme l’emporte bien trop souvent sur le fond. C'est ce qui explique aujourd'hui le succès de la marque "Mélenchon" qui ne doit pas décliner.

RIDEAU.