INTERVIEW DONNE AU FIGARO LE 03.02.2016
LE FIGARO. - Lors du caucus de l'Iowa, le favori Donald Trump
(24% des voix) a été battu par son concurrent Ted Cruz (28%).
L'organisation a-t-elle battu l'émotion?
François BELLEY. - Trump est entré dans le deuxième
temps de la bataille. Jusqu'à présent, il était dans le show. Bon client
des médias, il a assuré le spectacle. Ses meetings étaient des matchs
de Super Bowls avec musique, chapeaux, bière et pizzas. Maintenant est
venu le temps de la confrontation politique. Le temps 1 a montré que
Trump était une bête de communication, une bête médiatique. Le temps 2
nous permettra de voir s'il est une bête politique. Le New York Times a évoqué une «défaite humiliante», le Wall Street Journal une «défaite cinglante». L'enjeu est maintenant de savoir s'il saura rebondir, à l'américaine.
Le milliardaire vend du rêve à une Amérique qui aime les self made men ; la popularité de Trump est-elle, plus que les autres, davantage attachée à sa personne qu'à son programme?
Lors des élections présidentielles, que ce soit aux Etats-Unis ou en
France, on retrouve des constantes, telles que l'émergence du troisième
homme. C'est celui qui assurera le spectacle. Il y a souvent une prime à
la nouveauté. Mais gare aux «bulles spéculatives». On se souvient
d'Howard Dean. En 2004, candidat aux primaires démocrates, jeune, bon
tribun, il représentait le candidat du renouveau: il a perdu, et tout le
monde l'a oublié. Trump incarne la nouveauté. Même s'il est vieux. Homme d'affaires,
milliardaire, il n'est pas issu du milieu politique. Avec son
franc-parler, il détonne, provoque, amuse ; en un mot, il ne laisse
personne indifférent. On l'aime ou on le déteste. Il assure le
spectacle, ce dont sont très friands les Américains. Leur rapport à la
politique est lié au spectacle et au divertissement collectif. En
définitive, Trump fait la promotion des primaires ; il rend passionnant
ce qui, sans lui, aurait été bien plus terne.
Les journaux américains n'hésitent pas à afficher ouvertement
leur soutien aux candidats en lice: le principal quotidien de l'Iowa,
Des Moines Register avait favorisé Marco Rubio pour les républicains ou
Hillary Clinton pour les démocrates. La victoire pourrait-elle échoir à
un candidat anti-establishment?
Les médias
contribuent à la construction des personnages politiques, mais ils
peuvent aussi les détruire. L'électeur, surtout américain, aime voter
pour un gagnant. Trump incarne ce gagnant, riche, puissant, qui paraît
avoir tout réussi dans la vie. Même si Trump perd, il restera quelque
chose du «trumpisme» - ce courant anti-élites et admiratif de la
réussite sociale et économique.
Le Huffington Post avait
décidé en juillet dernier de traiter la campagne de Donald Trump dans la
rubrique divertissement, au motif qu'elle était «un vrai cirque».
De nombreux autres journaux critiquent sa communication et ses
propositions jugées outrancières. La défiance envers les élites
pousse-t-elle à voter Trump?
Les médias pointent du
doigt l'aspect divertissement de sa campagne, dénoncent cette
politique-spectacle. Est-ce hypocrite puisqu'ils en vivent? Il me semble
néanmoins que cette critique va dans le bon sens, dans la mesure où la
politique des petites phrases et des tweets ne constitue pas un
programme.
En France comme aux Etats-Unis se renforce une
défiance à l'égard des hommes politiques et du système des partis.
Incarner l'anti-système, notion certes marketing mais qui a encore du
crédit aujourd'hui, c'est redonner le goût de la politique à des gens
qui s'en étaient détournés. C'est ce qui a rendu la politique attractive
aux yeux d'une certaine frange de l'électorat américain.
Maniant
l'autodérision et promouvant un discours social, Bernie Sanders a été
battu de justesse par une Hillary Clinton jugée plus conformiste,
policée et candidate de l'establishment. Comment analysez-vous son positionnement?
Sur
son marché, Trump n'a pas de concurrent. Hillary Clinton court après
son destin. Cette élection représente sa dernière chance, après avoir
été doublée par Obama, le candidat du renouveau, en 2007. Si elle
devient la première femme présidente des Etats-Unis, il y aura une belle
histoire à raconter en matière d'émotion et de storytelling.
Mais elle a déjà exercé des responsabilités politiques nationales et
participé à des primaires. En réalité, Hillary Clinton est un «vieux
produit», à commencer par le nom de sa marque, «Clinton». Précisément,
Bernie Sanders prend le contrepied de cette image de candidate du
système en faisant primer la spontanéité et l'authenticité. Lui aussi,
en dépit de son âge, représente une nouveauté «socialiste» parmi les
candidats à la présidentielle. L'offre politique américaine est toujours
renouvelée. La particularité américaine est que, quand on perd, on ne
revient pas, contrairement à ce qui se passe chez nous. En France, on
singe souvent les Américains, mais pas sur le plan du renouvellement
politique.