23 septembre 2013

Audit de la "marque" : Ségolène.




Atlantico : Après avoir contesté la véracité de ses propos rapportés dans Le Point, selon lequel elle aurait critiqué plusieurs membres du gouvernement, Ségolène Royal refait parler d’elle en se disant ouverte à l’idée d’opérations conjointes entre l’armée et la police à Marseille. Que traduit ce retour sur la scène médiatique ? Quel objectif poursuit-elle ?

François Belley : Avec Ségolène Royal il faut toujours se poser trois questions : la marque Royal est-elle toujours attractive auprès des Français ? Le retour est-il possible ? Comment peut-elle l’orchestrer ? Ses sorties médiatiques sont très "ségolinistes". Historiquement, elle a toujours su manier la petite phrase qui fait mouche, ou en tout cas le verbe qui fait exister médiatiquement. On sait qu’elle est adepte de la "triangulation", qui consiste à prendre des idées dans le camp adverse. On se souvient de l’ordre militaire et de "l’ordre juste" pendant la campagne présidentielle. Lorsqu’elle parle d’armée à Marseille, cela obéit à sa tendance à aller à l’encontre de son courant d’origine pour faire parler d’elle.
Aujourd’hui c’est uniquement sur le champ médiatique qu’elle peut exister. Quand elle parle de risque de Guerre mondiale à propos de la Syrie, elle est l’une des seules à s’autoriser ce genre de formulation. Elle sait que ce genre de phrase est facilement repris. Elle sait utiliser le levier "people", en se mettant en scène dans l’affaire du Point.
Concernant son attractivité, elle est encore aujourd’hui une "femme marque". Elle est toujours associée à une dimension participative, émotive et combative. En politique, cette identité est une force. Et qu’on l’aime ou qu'on la déteste, elle ne laisse pas indifférent. Le gouvernement manque cruellement de personnalité et de charisme. A part Manuel Valls et Christiane Taubira à l’occasion, la scène n’est pas très occupée. Royal est comme le Phœnix : alors qu’on la pensait finie politiquement en 2007, elle est passée devant Martine Aubry au congrès de Reims. Même en larmes aux primaires socialistes, elle émeut toute la France… Sur la forme, son retour est donc toujours possible. Sur le fond, elle a toujours des propositions et une expérience en tant que ministre supérieure à François Hollande.

Peut-elle être porteuse de son propre mouvement ? A-t-elle la capacité de générer une adhésion populaire, et sur quelles idées ?

François Belley : Qui peut dire si Désir d’Avenir existe encore ? Ce mouvement existait à un moment particulier, grâce à l’échéance présidentielle. Mais elle a encore une carte à jouer. Sur le fond, elle donne l’impression de bien sentir les événements. Elle n’hésite pas, dans ses propositions, à s’affranchir de son parti, qu’elle ne cite d’ailleurs jamais. Elle ose et n’a pas peur de parler d’une intervention de l’armée à Marseille.
Philippe Braud : Sa base politique se réduit, elle est aujourd’hui très isolée. Ségolène Royal conserve l’admiration de personnes peu politisées, qui aiment son vocabulaire moral et émotionnel, l’image qu’elle renvoie et le fait qu’elle est une femme. En termes politiques, ce soutien ne s’exprimera pas. Au sein du PS, les rescapés du royalisme sont de moins en moins nombreux et audibles.
Elle a souvent étonné ou pris de cours des gens qui la soutenaient. Elle a donné l’impression d’être écolo en 95-98. Sur les questions de sécurité, elle a témoigné d’une certaine rigidité. Et sur les questions de la fiscalité et de l’austérité, sa ligne politique est difficile à interpréter. Son créneau serait celui de la sensibilité socialiste d’ordre moral. Le "socialisme émotionnel", en quelque sorte, qui est un très petit créneau.

A trop se singulariser, risque-t-elle de se couper de toute base politique ? Peut-on parler de numéro d'équilibriste ?
François Belley : C’est son fonds de commerce. Elle est l’une des rares personnes à pouvoir s’affranchir du Parti socialiste, alors que par exemple Martine Aubry en est un produit. Ségolène Royal s’affranchit de l’ombrelle du parti pour imposer sa marque, son style et sa différence. Sur le fond (ordre juste, encadrement militaire des jeunes…) et dans la forme (meetings aux airs évangélisateurs…), elle a totalement dénoté vis-à-vis du reste du PS.

A jouer cavalier seul, s’est-elle définitivement fermé les portes du gouvernement ? Pourquoi ?
François Belley : Encore faut-il que la place au gouvernement soit intéressante en termes d’exposition. La campagne 2006, en interne, ne l’a pas ménagée, et il en reste certainement des séquelles. La bataille des egos entre François Hollande, Valérie Trierweiler et elle n’arrange rien. Cela ferait les choux gras de la presse people pendant des mois.

Propos recueillis par Gilles Boutin