31 juillet 2013

«NKM est une marque en devenir»

ENTRETIEN DONNE A 20MINUTES LE 30.07.2013

POLITIQUE - Un spécialiste du marketing politique décrypte pour «20 Minutes» l’image de la candidate UMP à la mairie de Paris...

C’est les vacances pour les élus. Enfin pas pour tous. Certains profitent de cette période de creux médiatique pour faire parler d’eux. Comme NKM qui, lorsqu’elle ne se laisse pas suivre par Le Parisien lors de ses vacances en famille dans le Cotentin, déclare à la télé américaine être «une tueuse» en politique. C’est que Nathalie Kosciusko-Morizet a de grosses échéances devant elle: elle veut ravir la mairie de Paris à la gauche l’an prochain. 

«Pour elle, le marketing politique et la com' politique, c’est de la politique»
D’où la nécessité de construire son image, «sa marque», comme le dit François Belley, directeur de l’agence de communication Melville et auteur de Ségolène Royal: la femme marque. «Comme Ségolène Royal, NKM a intégré la communication, l’image dans sa campagne. Elle est dans la scénarisation, comme lorsqu’elle fait une double page de Match, en longue robe blanche, avec une harpe derrière. Pour elle, le marketing politique et la com politique, c’est de la politique», explique le communiquant. Pour lui, «NKM est une marque en devenir». Déjà, car elle est appelée par son acronyme, «c’est court, percutant, ça imprime», dit-il. D'ailleurs, son nom, c'est son logo de campagne. Elle est «chic, moderne, une femme qui s’assume», détaille-t-il. La notoriété de l’ex-ministre est déjà constituée et «c’est un point fort car elle est identifiable sur son marché (électoral), à la différence d’Anne Hidalgo ». Mais il faut désormais lui donner du contenu. «Pour l’instant, elle est identifiée à des thématiques très précises: l’écologie et le numérique. L’enjeu pour elle est de devenir plus crédible sur d’autres thématiques» plus centrales, explique François Belley.

Un «manque de cohérence d’image»
NKM propose toutefois deux types d’image: d’un côté la femme politique moderne, branchée, chic, indépendante, et de l’autre un côté, une mère de famille plus classique, rétro, qui s’adonne au violoncelle et à la peinture à l’huile en vacances. «L’essentiel en communication, c’est d’avoir un cap, une cohérence et de s’y tenir. Parfois elle parait être dans l’opportunisme» d’image, en alternant le côté bourgeois puis bohème. «Ce manque de cohérence d’image peut être du  à sa jeunesse. Elle semble se chercher un peu et quand elle aura trouvé, elle capitalisera», avance-t-il.
Mais même si c’est une pro de l’image et de la com, NKM a fait «une petite erreur», d’après François Belley, dans ses dernières déclarations. «Elle dit que c’est une tueuse, alors que son iconographie de campagne, c’est NKM avec le M en forme de cœur. Il y a un décalage d’image qui ne soutient pas la promesse d’unité et de rassemblement du sourire de NKM», note-t-il. Elle a encore quelques mois pour y parvenir.

18 juillet 2013

L'émotion en politique

INTERVIEW A ATLANTICO LE 18.07.2013


Cécile Duflot était au bord des larmes à l'Assemblée nationale lorsque le député UMP Philippe Meunier a dénoncé les propos du compagnon de la ministre sur le défilé du 14 juillet. Un exemple supplémentaire de la dureté de la culture politique française.

Lors des questions au gouvernement du 16 juillet, on a vu Cécile Duflot au bord des larmes à l’Assemblée nationale lorsque le député UMP Philippe Meunier a dénoncé les propos tenus sur Twitter par Xavier Cantat, le compagnon de la ministre du Logement. La réaction de Madame Duflot est-elle qualifiable de "normale" ? Pourquoi ?

François Belley : Avant toute chose, l’émotion, qu’elle traduise l’énervement, la tristesse ou la colère, n’est pas un phénomène nouveau. Il suffit de penser à Royal, Aubry, Duflot… De plus, ce n’est pas propre à la femme. Souvenez-vous des larmes d’Obama après la tuerie de Newton. Le langage non verbal fait partie intégrante de la communication, et donc aussi de la communication politique. Dans une société d’image ultra médiatisée, il vaut mieux être un homme politique avec des émotions. Lionel Jospin, par exemple, était taxé d’homme austère et peu communiquant. Les personnes bien notées en termes de communication sont celles qui font parler le corps et les gestes. Pour l’homme politique, l’émotion a un rôle central. Quand Ségolène Royal se lève pour tenir la main d’un handicapé sur un plateau télé, cela participe d’une recherche de proximité, d’humanité et de normalité dans un contexte où le citoyen se défie de l’homme politique, souvent considéré comme arriviste, égocentrique et dans une logique de conflit. Les larmes, la compassion et l’empathie font partie la communication politique pour ces raisons-là. Dans la terminologie femme ou homme politique, la notion de politique est juxtaposée avec la notion de méfiance. Toute la schizophrénie de l’homme ou de la femme politique réside dans la nécessité d’intégrer de l’émotion dans sa communication pour ne pas être taxé de distant (Aubry, Jospin), et en même temps d’éviter de tomber dans l’écueil de la démagogie, du calcul et du spectacle politique. Dans le cas de Cécile Duflot, tout l’enjeu est de savoir si ses larmes sont sincères ou si elles relèvent d’un calcul politique. Autre question : les larmes sont filmées, en réponse aux attaques d’un homme, et dans l’antre de la République. Qu’elle soit sincère ou comédienne, Cécile Duflot a gagné la bataille de l’image : c’est l’homme contre la femme attaquée, blessée et qui pleure.

Ségolène Royal avait aussi surpris tout le monde en pleurant suite à son échec aux primaires du parti socialiste. La tradition politique française interdit-elle la manifestation des émotions ? Pourquoi ?

François Belley : C’est plus courant qu’on ne le pense. François Fillon, par exemple, avait pleuré lors des funérailles de Philippe Séguin. Il s’agit toujours d’une réaction à un événement précis : une défaite dans le cas de Royal, un décès pour Fillon, ou encore le PDG de la SNCF la semaine dernière à l’occasion de la tragédie de Brétigny. Ce n’est donc pas interdit face caméra, et c’est très courant. Des pays comme l’Allemagne sont moins dans l’affect et l’émotion que la France. Avant d’être politiques et publics, cela restent des hommes. On trouve toujours une scénarisation de l’émotion, mais le doute s’instille selon les cas. Lorsque Ségolène Royal perd aux primaires et lorsqu’elle pleure devant Mitterrand, il ne s’agit pas des mêmes larmes. On n’oubliera jamais que ces gens travaillent énormément, qu’ils subissent une pression médiatique et politique, et qu’un à moment donné, ils craquent.

Philippe Meunier a poursuivi ses critiques sur son propre compte Twitter en parlant des "larmes de crocodile" de Cécile Duflot. Faut-il y voir un manque d’humanité de la part du député ?

François Belley : Le jeu du spectacle politique consiste toujours à attaquer l’adversaire. Or j’y mets deux bémols. D’une part, Philippe Meunier sait très bien qu’en faisant cela il s’offre une fenêtre pour exister médiatiquement, passage obligé pour exister politiquement. Sans aller jusqu’au manque d’humanité, il s’agit clairement d’un manque d’élégance. N’oublions pas que Cécile Duflot s’est fait siffler lorsqu’elle a pris la parole en robe, et que maintenant elle pleure au même endroit. Dans cinq ans, on s’apercevra peut-être que tous ces événements s’inscrivent dans un scénario qui a contribué à la fabrication du produit marketing qu’est une femme ou un homme politique.

Lors d’une interview peu après le suicide de son frère, Nathalie Kosciusko-Morizet n’avait rien laissé paraître de son émotion à la télévision. Faut-il nécessairement être "émotionnellement blindé" pour être en politique ? S’agit-il d’un comportement anormal ?

François Belley : En politique, la recette consiste aujourd’hui à être authentique. Nathalie Kosciusko Morizet, de par son histoire familiale, est devenue quelqu’un de dur et considère que d’une certaine façon elle ne doit pas en faire trop car elle est comme ça. On peut effectivement lui reprocher une certaine forme d’inhumanité, d’autant plus qu’elle une femme, a priori plus sensible qu’un homme. Elle masculinise un peu plus sa posture et son engagement verbal. En revanche, son erreur serait de tomber dans la scénarisation de ce qui ne lui correspond pas, et ainsi rentrer dans le calcul à outrance. En général, on n’est jamais aussi mauvais que lorsqu’on n’est pas en phase avec son personnage.

Propos recueillis par Gilles Boutin