Que fallait-il penser de l'intervention de la Garde des
Sceaux à l'Assemblée Nationale ce mardi? Notre contributeur François Belley
revient sur cette séquence passionnée.
Cela faisait bien longtemps qu'un projet de loi n'avait pas
autant bipolarisé la vie politique Française comme le fait aujourd'hui celui du
débat sur "le mariage pour tous". C'est le retour de la
confrontation "gauche/droite" (l'un pour, l'autre contre) à
l'Assemblée Nationale mais aussi dans la rue à l'appui des récentes manifestations orchestrées
"militairement" par les 2 camps.Au-delà de la
sur-médiatisation du sujet, c'est bien la passion extraordinaire qui s'en
dégage et qui est intéressante. A l'appui de la séquence d'hier à l'Assemblée Nationale, nous
voilà presque de retour à la 3è République où le climat toujours vif était
souvent houleux, voire parfois violent avec son lot d'insultes et de franches
bastons entre députés. Bien évidemment, nous n'en sommes pas là. Mais il
n'empêche que cette question sociétale offre un débat moins passionnant que
passionné, générateur forcément d'un "spectacle politique" offert aux
médias, et en particulier aux chaînes d'informations.La séquence de débat à l'Assemblée de ce mardi,
avec le lyrisme de Taubira et le pathos de Guaino, est en quelque sorte le clou
du spectacle. C'est en presque trop, puisque maintenant 72% des Français
estiment que "le débat" a "trop duré", selon un sondage Yougov pour le Huffington Post
publié ce mercredi. Cela étant, il est fort à prévoir que cette séquence, à
l'appui de cette loi, constitue le fait marquant de la présidence Hollande, un
peu comme l'a été l'abolition de la peine de mort sous le premier mandat de
Mitterrand.
"Les
opposants au mariage pour tous
avaient
déjà une figure de proue avec Frigide Bardot".
Avec son intervention à l'Assemblée Nationale, Christiane Taubira est maintenant la personnalité
qui "porte le débat". Les opposants au mariage pour tous avaient déjà
cette figure de proue en la personne de Frigide Bardot. Sur la forme,
Taubira est apparue hier assurée, sereine, n'a pas jeté un seul coup d'oeil à
ses notes, tellement à l'aise sur scène qu'elle s'est même permis, en guise de
rappel, de citer quelques vers du poète Léon-Gontran Damas. Par sa prestation
réussie, Taubira a incarné fermement et avec le sourire le projet du
Gouvernement, ré-affirmé sa place de Ministre, ré-affirmé sa position dans le
débat et imposé de fait un certain leadership sur le sujet. En termes d'image,
cette séquence médiatico politique lui a été bénéfique. Au-delà de la
visibilité acquise, nul doute que la Garde des Sceaux a surtout gagné en crédit
politique au sein d'abord de son propre camp puis peut-être en proximité avec
ceux bien sûr en faveur du projet de loi.
"Son
discours d'hier à l'Assemblée paraît déjà bien loin".
L'association avec Simone Weil faite d'ailleurs aussitôt sur les
réseaux sociaux montre le charisme de la ministre de la Justice. Ces deux
femmes d'époques différentes ont incarné, chacune sur un sujet de société
propre à leur époque, le progressisme social. Cette intervention minutieusement
préparé à, en quelque sorte, révélé la Garde des Sceaux, la propulsant au
devant d'une scène médiatico politique trop souvent occupée ces derniers temps
par Valls ou Montebourg. Mais le mieux est l'ennemi du bien. Christiane Taubira
s'est précipitée en intégrant, dès le lendemain d'un discours réussi, la circulaire sur la question de la "gestation pour autrui".
Il est aujourd'hui trop tôt pour parler d'erreur politique. En revanche, on
peut avancer le couac évident en termes de communication eu égard au tollé
provoqué aujourd'hui par cet effet d'annonce. Par cette circulaire, la Garde
des Sceaux nourrit de toute évidence la position de l'opposition déjà virulente
sur le sujet. Dès lors, son discours d'hier à l'Assemblée paraît déjà bien
loin. La Ministre de la Justice n'a pas su gérer, à mon sens, le timing et ses
séquences stratégiques sur ce dossier. Dommage, elle aurait pu être " la
révélation " de la semaine du Gouvernement. Pas d'un seul jour
uniquement.